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dimanche 17 juillet 2022

Ainsi se croisent nos parallèles (chapitre10)





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Sans donner l’impression de commencer par des doutes, ce qui par les circonstances se targuerait d’intentions de méfiances, Rankei avec calme demande à Arthur et Clotaire de dire la vérité de leur présence sur ce bateau.

Sans la moindre hésitation, Arthur et Clotaire se lancent sans réfléchir à une quelconque réserve, dans le récit de leurs mésaventures, depuis la fuite indigne d’Esparon, jusqu’à la réception brutale sur cette plage. Ils n’esquivent aucun détail. La vérité, rien que la vérité nue malgré leur bassesse, leur zèle, leur énergie, ce courage qui les anime face aux lâchetés d’un capitaine sans scrupule.

Par ce courage retrouvé sur la fortune des mots, Arthur et Clotaire dévoilèrent leur cheminement par un long récit ouvert par le laisser-aller d’un sourire, suivi de sombres déconvenues.

D’abord pour disposer de la surprise du décor se manifeste la discrétion d’une liaison indélébile avec la puissance de la montagne. Elle grave dans le cœur de ses enfants, pour toujours, la mémoire de ses formes audacieuses, ses valeurs, ses raisons. Elle calme nos violences par la fraîcheur de ses sources. Elle chasse nos mauvais rêves, dès l’innocence d’un matin, par l’élégance d’un souffle d’air pur. Chacun de ses caprices dessine l’harmonie du contour de ses sommets, de ses collines, du détail de ses vallées, jusqu’à captiver nos passions par l’aventure d’une larme portée par l’émotion.

Ils arrivèrent sur une suite d’erreurs et de catastrophes ici où rien ne s’imprime encore sur les frissons de la mémoire. Ils découvrent alors la grandeur de l’amour : parler du petit village de leur enfance. Pourquoi s’enfuir quand tout se déroule avec l’harmonie des jours et la chaleur du cercle d’une famille ?

Le début des saisons souriantes rendait impatients chèvres et moutons. Berger, voici la belle aubaine d’une occupation ancestrale où vagabonde l’esprit de la jeunesse en quête d’ailleurs. À cela s’ajoutaient quelques menus apprentissages de culture ménagère. Tous ces travaux participaient au bien-être commun. Chaque jour, leur principale contribution s’activait, avant tout de mener leur troupeau sur les pentes verdoyantes d’une riche et abondante herbe sous la canopée des châtaigniers séculaires à proximité des quelques maisons du Caladon. Pourquoi, lorsqu’un environnement idyllique nous gratifie de ses dons, une envie d’ailleurs s’invite-t-elle sournoisement ? Cette vie réglée avec l’harmonie de satisfactions simples permit malgré tout de semer, dans les jeunes cervelles, l’intérêt de perspectives aux images brillantes et colorées. Cette foucade un brin stupide les retrouva, avec la gaieté liée à leur âge, sur des chemins où se cachent des ombres trompeuses, des sourires venimeux. Les premiers jours de cette escapade décernèrent sans trop de fausses notes leurs lots de satisfactions et ainsi, s’effacèrent les derniers soupirs d’un vil abandon familial, des amis, du pays. À l’extrême limite du chemin de nos jeunes sans-souci, la mer présente sa frontière où murmure le perpétuel ennui des vagues. Sur le bord de la plage, fidèle à une suite logique dans ses idées, le capitaine d’un vaisseau, la tête déjà pleine de vieilles entourloupes attend une prochaine provision de victimes. Arthur et Clotaire écoutent avec gourmandises d’alléchantes paroles auxquelles s’ajoutent des surenchères invraisemblables de ce tenace bourlingueur des flots. Sans trop ressasser la valeur des serments de cette fripouille, ils embarquent sur ce poussiéreux rafiot, pour découvrir sans tarder le piège de ce voyage. L’attente naïve d’un lointain enchanteur vient de leur jouer une sale farce, sur la suite de cette fugue. Sans plus de courtoisie, les voilà devenus esclaves sous le joug du maître à bord crachant à tout va des ordres de corvées. Une seule solution : fuir ce traquenard dont les portes restent pourtant grandes ouvertes, oui, mais sur les flots, vaste étendue prête à vous engloutir dans une autre prison. Réfléchir, trouver un au-delà vers la liberté plus raisonnable se glisse comme une hantise silencieuse entre eux. Épier avec modération la sagesse et le sang-froid de la patience afin de vaincre par le courage l’occasion de s’affranchir sans une larme des griffes de cet ignoble individu.

Sans que la chance se manifeste d’une allure claire, il s’accomplit de temps à autre, avec une discrétion divine qu’un atout providentiel s’offre à une main secourable. Ce coup merveilleux du sort, en prendre possession aussitôt et oublier sans gamberger l’inutile du moment. À son début, la tempête se présente comme un prétexte de fuite, qui au-delà de toute espérance s’applique à bousculer jusqu’au dernier plan d’évasion. Sans politesse, une déferlante sauvage jette par-dessus bord nos deux vulnérables jeunes hommes pour les charrier sans ménagement comme de vulgaires débris sur le dos de la furie océanique. Les tourbillons féroces de ce cyclone, sans précaution ni égard les emportent, puis les abandonnent au loin, sur un banc de sable, fragile esquif au milieu du courroux des éléments endiablés.

Arthur et Clotaire se taisent, ils ne trouvent plus de mots, parfois il fallut même les aider avec pudeur et tact quand des propos butaient sur des émotions trop fortes. Maintenant, une pause s’oblige à observer un temps de non-bavardage. Les pensées galopent seules sur les secrets intimes. Ainsi s’apprend à décrypter une exacte retenue. Ce silence n’a rien de pesant. Il libère.

Comme un baume adoucit la douleur, un murmure s’aventure sur la délicatesse de paroles choisies.

Par l’avantage du panorama que déploie à leur pied le mont Shôjôgatake, le bonze Rankei observe pour son jugement chacune des différences afin de sentir et comprendre la sensibilité des êtres. Sa voix apaise. Elle raconte avec justesse la fin de la tempête. Deux corps, apparemment jeunes, vêtus de guenilles, gisent abandonnés sur la plage. Miracle ! Ils respirent, ils vivent, clos dans l’inconscience. Sans plus tarder, les transporter jusqu’au monastère et assurer les premiers soins. Arthur et Clotaire pendant trois jours délirent, s’agitent le teint fiévreux. La vie grâce à l’adolescence réclame sa part et n’abdique pas devant cette infortune du sort. Il reste tant de féeries à fréquenter.

Rankei, avec parcimonie, ménage la portée de ses propos, avec en plus l’habileté d’une sagesse habituée au sacré. Il parle de ses obligations et de la vie monacale de la petite communauté. Puis, il s’accorde sur la solidarité qu’il doit assumer dès à présent vis-à-vis de nos naïfs naufragés. Il ne peut abandonner, nos jeunes amis, maintenant perdus dans un monde si éloigné de leur terre mère. Il ne provoque l’agressivité d’aucune réprimande à l’égard de l’insouciante : fragilité de l’adolescence. Il tremble à simplement imaginer le long voyage qu’il faudrait entreprendre pour ces encore un peu gamins, s’ils leur prenaient l’aventure afin de refaire le chemin du retour. Sa conscience, habituée à la prudence des réflexions éclairées, lui interdit de laisser à nouveau s’aventurer sur des routes inconnues, où se rencontrent des pléthores de traquenards, l’envie aléatoire de nos amis.

Arthur, vient-il de dévoiler les murmures secrets des préoccupations morales de Rankei. Une question s’achemine sur l’écho de sa voix : puis l’entendre prononcer « combien un voyage vers le retour des côtes de notre pays nous demanderait-il de jours ».

Le moine Rankei examine par la grâce d’un profond silence les incertitudes qui se bousculent et tourmentent Arthur. Homme de prière, il s’interroge comme s’il désirait lire à cet instant, les doutes et les espoirs d’une demande. Elle vient d’être suggérée par la chute d’un cœur en errance. Il entrevoit dès ce moment qu’une réponse trop rapide peut devenir un sourire ou une larme. La bonté de son âme connaît la portée des mots justes pour redonner la confiance. Il utilise ce pouvoir avec harmonie et sagesse.

Grave malgré le ton du langage qu’il souhaite léger, porteur d’optimisme, Rankei déclare : comment le temps s’estime, selon tous les aléas du hasard. Il suppose, parfois, la menace du jusqu’au-boutisme, du matamore, ou ne se prive pas des incertitudes promises par des caresses de canailles. Rejoindre votre terre de France ne se mesure pas sur la clarté du lever jusqu’au coucher du soleil. Cela s’apprend sur la durée des saisons, donc avec la persévérance. Partir comme à présent sur le doux sourire printanier, le réveil de la nature deviendra un compagnon idéal pour forger le courage. Puis, poursuivre sous les feux torrides de l’été, sans jamais réduire l’allure d’une navigation sur des eaux trop calmes où se traînent l’ennui et l’inquiétude. Continuer, brillant de sueur, la peau brunie et lustrée, torse dénudé, où se dévoile l’esquisse de muscles virils, sous les ardeurs d’un soleil impitoyable. Toujours, s’avancer sans protester sur tout, et n’importe quoi. Découvrir comme une étrenne par la surprise fraîche d’un matin, quelques larmes de rosée sur l’avant-goût coloré de l’automne, là où s’amuse la chevauchée du temps qui passe. Ensuite, sans trop se hâter, les lambeaux de l’arrière-saison s’effilochent sur les tristesses grises du ciel. Les rigueurs de l’hiver nous préparent ses offensives à pas de loup. Par une aurore trop-plein de silence, la froidure nous divulgue ses premières morsures sur le drap blanc d’un paysage gisant et muet. Le bout du voyage retour ne manifeste encore aucune sympathie sur les images exprimées par les caprices d’horizons absents sur la mémoire. Faudra-t-il attendre longtemps ainsi sur l’échiquier original des promesses invisibles des gifles du vent ? La patience dissimule des extraordinaires soudains, sur l’aboutissement de ce long voyage. L’invitation d’une innocente brise ne présage-t-elle pas l’approche de parfums inscrits dans l’émotion des premiers souffles de la vie ? Tout ce temps pour poser enfin les pieds sur la terre mère ne se décide pas sur un simple claquement de doigts : une réflexion constante rassure la volonté.

Parvenu au terme de ses explications, Rankei tait son savoureux langage. Ainsi s’impose une salutaire quiétude où rien ne transpire du vacarme des pensées qui se bouscule, malgré leur silence, dans la tête d’Arthur et de Clotaire. Rankei quitte sa place assise et s’apprête à redescendre vers son monastère. Cette attitude instinctive déconcerte nos jeunes amis. Ils restent muets, le regard perdu sur le panorama des montagnes qui porte comme des regrets de leurs discrètes Cévennes. Puis au loin l’immensité bleue trop placide de l’océan, cette frontière où se cachent des artifices, des tromperies. À nouveau, ils se tournent vers Rankei qui semble émanciper sur les traits de son visage rayonnant la pureté d’une révélation. Heureux signal de calme, d’amour, d’espoir, de sagesse quand se consacre sans arrière-pensée la psalmodie d’une oraison muette de bienvenues. Sans élever le ton, il annonce, tel un message d’invitation libre de toutes contraintes : je retourne vers mon monastère, car m’attend en ce lieu le cheminement léger de l’esprit par une longue méditation. Vous pouvez encore admirer les surprises alentour pour vous aider à trouver la prochaine direction de votre destin. Sachez que notre temple peut devenir un accueil franc et sans chaîne. Vous pourrez nous rejoindre, dès que vous sentirez le désir se manifester sans détour en vous. Nous vous compterons parmi nous sans rien vous réclamer de nos obligations monacales comme des laïcs respectueux de nos croyances.

Témoin de ce temporel, maintenant Rankei se tait. L’âme apaisée, il commence la descente vers son lieu de prière. Seul, un simple grincement de pas sur les petits cailloux du chemin empêche le silence d’envahir cette solitude paisible.



Par la force du doute.

  La chronologie des années qui nous occupe : bruyante période, où le repli sur soi s'accommode indécis, à l'unisson des silences ra...